BIO
NIUVER N'A PAS EU À RÉFLECHIR POUR SE TROUVER UN NOMD'ARTISTE :
ELLE S'APPELLE VRAIMENT NIUVER.
Un prénom que ses parents ont inventé, cequi est courant à Cuba, et donne des résultats très originaux. «Je ne connaisqu'une seule autre Niuver, dit l'intéressée, c'est une gamine de mon village.»Son village s'appelle Bolondrón, un nom qui fait rire à Cuba tant il évoque unsummum de ruralité arriérée. Ce qui est très caricatural. Mais pour faire unecarrière internationale en venant de Bolondrón, un lieu perdu au milieu d'unocéan de canne à sucre, il faut de la ténacité, du tempérament et pas mal de talent.Trois choses dont Niuver ne manque pas.
A 11 ans, elle part étudier la musique àMatanzas, la capitale de sa province. Elle est interne, avec retour au villagele week-end. La séparation lui pèse mais en brave petite fille passionnée parla musique, elle s'accroche. Sa spécialité: la guitare, où elle a d'excellentsrésultats. Un détail va pourtant l'empêcher d'aspirer à une carrière deconcertiste classique: ses ongles, pas assez solides. A 15 ans, elle rejoint latrès sélective Ecole Nationale des Arts à La Havane (ENA), où un professeur aune idée lumineuse: puisque la guitare de très haut niveau est exclue, pourquoine pas essayer le luth de la Renaissance, qui se joue avec un plectre ? Le luth(laúd, en espagnol), est aussi l'instrument-roi dans les campagnes, lors des controversias,ces joutes oratoires improvisées qui ont bercé l'enfance de Niuver.
FINALEMENT, LA VOIX PREND LE DESSUS SUR LES CORDES.
Diplômée de l'ENA, avec un solide bagage dechant choral, Niuver rejoint un groupe vocal féminin déjà réputé, Aries. A sonrépertoire: nueva trova (chanson folk et poétique), feeling (chanson jazzy) etbolero sentimental. Dans les années 90, les groupes vocaux poussaient comme deschampignons à travers l'île, dans le sillage de Vocal Sampling, au succèsplanétaire.
Aries, malgré sa popularité et ses nombreuxpassages télé, ne dure pas. Niuver cherche comment vivre de la musique et,après l'origine rurale et les ongles fragiles, un troisième obstacle va sedresser devant elle: celui de n'être ni Noire ni plantureuse. Elle le découvreen arrivant en Espagne, après avoir réussi une audition à Cuba pour intégrer ungroupe de musique dansante. Quand le promoteur voit débarquer une blanche auxyeux bleus et à la taille mannequin, il manque s'évanouir. Mais il est troptard pour faire machine arrière, et Niuver prouvera, en chantant pendant troismois dans un restau-cabaret de Bilbao, qu'à défaut d'avoir le physique supposéde l'emploi, elle en a les qualités vocales. Ce qui vaut mieux que lecontraire.
LE PAYS BASQUE, VOICI QUI NOUS RAPPROCHE DE LA FRANCE.
Où elle arrive avec le plus beau desprétextes: par amour. Le tube de saison est à cette époque Foulesentimentale, et la chanson d'Alain Souchon reste liée dans sa mémoire à sadécouverte de l'Hexagone. Son premier port d'attache sera Metz, où elle rejointle groupe de sa compatriote Dalia Negra. Elle se mèle au milieu jazz de laville et rencontre Umberto Pagnini, professeur de batterie au conservatoire,qui l'invite à chanter sur son disque Donne latine.
Pendant ce temps, à Paris, Raúl Pazsouhaite revenir à ses racines campesinas (paysannes). Dès qu'il apprend qu'unede ses compatriotes établie en France joue du laúd, il fait appel à elle. Ellefera la première partie acoustique de son Olympia, en 2005. Raúl apporte enoutre son aide au disque que prépare Niuver: il lui offre plusieurs chansons,des arrangements. Le disque reçoit cependant un bon accueil et attirel'attention sur cette voix sensuelle venue des Caraïbes.
Pour réaliser son deuxième CD, c'est un tandemde producteurs parisiens qui est contacté. Julien Chirol et Pierre-Luc Jamainsont des passionnés des rythmes latins, qu'ils ont pratiqué pendant des annéesavec Sergent Garcia. Julien Chirol n'a pas hésité longtemps: «J'ai été séduitpar les chansons brutes, guitare-voix, sans arrangements, Il y avaitquelque-chose de frais et de nouveau, j'ai aussi adoré son utilisation dufrançais.»
Car, contrairement au premier disqueentièrement hispanophone, celui-ci est bilingue. «J'ai commencé à écrire en françaispar nécessité: je m'adressais en chanson à une personne qui ne parle pasl'espagnol», précise Niuver. "Le travail de production, reprend JulienChirol, a notamment consisté à «rendre les rythmiques cubaines accessibles,avec une approche basse-batterie plus proche de la pop, et sans surcharger enpercussions latines. Peu d'électronique, des instruments des années 70, desclaviers Rhodes ou Wurlitzer par exemple, et pas mal de sons samplés ettravaillés, même si ça ne saute pas aux oreilles.» L'album de Niuver est unebelle collection d'ambiances et d'émotions, avec des couleurs très différentes.Jamaïque et Brésil ne sont pas loin, Tom Poisson lui fait cadeau d'un N'importequoi dont le refrain vous obsède dès la première écoute, et Oxmo Puccinodonne la réplique avec chaleur dans A mi me gusta.
TOUT EST PRÊT POUR QUE NIUVER FASSE ENTENDRE SA VOIX,
une chance quen'a pas eu son ancêtre Pablo Quevedo, cousin de sa grand-mère. Surnommé «lavoix de cristal», il fut sans doute le chanteur le plus adulé des années 30 àCuba. S'il est oublié aujourd'hui, c'est qu'il est mort en 1936, à 28 ans, dela tuberculose, sans avoir jamais enregistré. Son arrière-petite-nièce en parleavec émotion: «Je n'ai appris son existence qu'à l'adolescence, alors que lesderniers membres de la famille qui auraient pu m'en parler étaient déjà morts.»Et même si leurs répertoires ont très peu en commun, Niuver semble avoir héritéde son aïeul la capacité d'émouvoir et de faire danser.
François XavierGómez